Une Innue réalise son rêve de petite fille

Sylvie Ambroise à la barre du bulletin de nouvelles francophones chez APTN. (crédit photo:courtoisie)


Sylvie Ambroise, de Uashat-Maliotenam, est devenue cette semaine la Pierre Bruneau de TVA chez les autochtones. Son histoire est la preuve vivante que les efforts, la persévérance et la passion mènent à ses rêves. 
Stéphane Tremblay

Née à Maliotenam, elle y grandira et y demeurera durant toute son adolescence. Les études l’obligeront à quitter familles et amis pour la grande métropole. 
Inscrite au Cégep du Vieux-Montréal en techniques d’architecture, elle poursuivra ses études à l’Université du Québec à Montréal, en science politique, pour peut-être suivre les traces de son défunt père, Chrysologue Ambroise, chef de Uashat-Maliotenam de 1982 à 1988.
Et bien non! Son rêve: devenir journaliste. 
De retour dans sa communauté pour venir prendre soins notamment de ses parents malades, elle occupera des postes en administration et en communication au sein du Conseil de bande de Uashat-Maliotenam. 
Toujours obnubilée par la peur de ne pas réaliser son rêve un jour,  elle tourne le dos à un emploi permanent avec de bonnes conditions de travail pour se lancer dans l’aventure du métier passionnant mais précaire qu’est le journalisme. 
Sans filet, elle plonge. Fonceuse, elle ouvre une première porte, celle du journal Innuvelle. 
À 36 ans, avec aucune expérience ni formation en journalisme, elle va gravir les échelons, une marche à la fois, passant de représentante publicitaire à journaliste.
Avec comme première assignation le film de Kevin Bacon-Hervieux sur le festival autochtone Innu Nikamu – prix du meilleur documentaire au Gala Québec cinéma en 2019 – Sylvie Ambroise découvre sa plume et la peaufinera durant deux ans. 


La voix de CKAU
Déterminée comme pas une, Sylvie Ambroise troquera son crayon pour un micro. « J’ai offert un échange de services à la radio communautaire CKAU de Uashat-Maliotenam. Moi, je leur donnait un coup de main et eux me montraient le métier de journaliste », raconte-t-elle avec le sourire d’une mission accomplie.
Les gens de Sept-Îles, plus particulièrement ceux de Uashat-Maliotenam, entendront sa voix lire les bulletins de nouvelles pendant un an. 
En juillet 2019, le téléphone tant attendu sonne. C’est la direction d’Aboriginal People Télévision Network (APTN) qui est bout du fil. On lui annonce la meilleure nouvelle de sa vie. Elle sera journaliste à APTN, LE réseau des réseaux de télévision chez les autochones, avec une diffusion à travers le Canada, même en Australie, où une chaîne rediffuse les émissions produites par APTN.
« Jamais j’aurais pensé me rendre où je suis aujourd’hui », lance avec émotion la femme de 40 ans.
« C’est tellement contingenté. Je n’osais même pas en parler à mes parents lorsque j’étais jeune car j’étais certaine de ne pas réussir » ajoute-t-elle avec nostalgie, en pensant à ses parents aujourd’hui décédés.
« C’est mon père qui m’a donné le goût de devenir journaliste. Il travaillait beaucoup comme chef, et le soir c’était notre rendez-vous les bulletins de nouvelles. Je m’assoyais sur ses genoux et nous écoutions Bernard Derome à Radio-Canada. Je n’avais que 5 ans. »


Présentatrice à APTN
Dès son arrivée chez APTN à Montréal, Sylvie Ambroise veut de nouveaux défis. Elle mettra les bouchées doubles. Son travail acharné vient d’être récompensé. Elle est, depuis une semaine, à la barre du bulletin de nouvelles francophones chez APTN. Présentatrice des nouvelles nationales est l’ultime poste, un titre grandement convoité par tous les journalistes.
« C’est un rêve de petite fille » s’est elle  exclamée avec fierté. N’oubliez jamais. Quand on veut, on peut. »
Toutefois, son parcours n’a pas été de tout repos. Au contraire, une route parsemée d’embûches. Pas facile pour une femme célibataire de quitter sa petite communauté pour aboutir dans la jungle médiatique de Montréal, où le journalisme devient un don de soi en terme de disponibilité.
« A mon arrivée, toutes les choses tournaient tellement vite que j’etais réellement étourdie. J’ai eu des crises de larmes.  Au point, où je devais rester chez moi le mercredi pour me reposer. J’essayais de suivre le rythme des Montréalais, beaucoup trop vite pour moi. » 
« Mon employeur m’a toujours soutenue. Je lui dit merci d’avoir respecté mes limites, de m’avoir donné du temps avec mon déménagement, de m’avoir accompagnée dans mon intégration et mon adaptation. Et surtout, d’avoir été à l’écoute de mes besoins », lance celle qui dit être maintenant mieux adaptée à la folie montréalaise. 
« J’aimerais aussi remercier toute l’équipe, car sans votre soutien, je n’aurais pas pu évoluer aussi rapidement. À chaque jour, j’apprends de vous tous sur ce métier. Moi qui n’y connaissait rien de tout de l’univers de la télévision. Vous êtes de très bons professionnels. Je suis votre produit, le résultat de vos efforts. Merci pour tous vos conseils et tous vos commentaires. »


La Côte-Nord un jour, la Côte-Nord toujours 
Loin de sa Côte-Nord natale, Sylvie Ambroise s’ennuie de sa soeur plus jeune.
Preuve que nous pouvons sortir la fille de la Côte-Nord mais pas la Côte-Nord de la fille, ses coutumes autochtones lui manquent également à Montréal. 
« J’aime beaucoup la pêche aux saumons et j’adore manger du caribou », souligne celle qui confectionne des bijoux artisanaux avec des perles lors de ses rares moments de relaxation.
Mais le plus grand manque pour Sylvie Ambroise est d’avoir  » sacrifié » la joie d’être mère, pour réussir dans son métier de journaliste. 
« Depuis des années, je ne vie que pour mon métier, ou presque. Je n’ai pas eu de temps à consacrer pour former un couple et donner naissance à un enfant. Ça me manque énormément », dit-t-elle, avant de laisser aller un long silence.
Sylvie Ambroise a toujours eu à coeur ses origines, sa langue innue. Même si les bulletins sont en français (vous pouvez d’ailleurs l’écouter https://www.aptnnews.ca/tag/montreal/ ) elle commence toujours son bulletin par un Kuei, et le termine par un Iame.