
Dans son dossier sur un pont sur le Saguenay, macotenord.com dévoile aujourd’hui le contenu d’une étude interne au ministère des Transports, vieille de 42 ans, dévastatrice pour les grands défenseurs d’un pont sur la rivière Saguenay entre Tadoussac et Baie-Ste-Catherine.
Stéphane Tremblay, Initiative de journalisme local, MaCôteNord.com
Sous la direction de Marie-Claire Lévesque, urbaniste, l’équipe de recherche et de rédaction de cette étude datant de 1979 optait par un pont situé à quelque 400 mètres en amont de l’endroit même où naviguent actuellement les traversiers.
Des cinq scénarios possibles qui étaient sur la table à dessin, le choix de Mme Lévesque s’est arrêté sur le plus dispendieux et le plus compliqué à réaliser. Un tracé déconseillé par les ingénieurs experts qui menaient l’étude parallèle commandée par le ministre des Transports en 1977.
On a également remarqué dans les plans qu’une mystérieuse erreur changeait les données. C’est que l’urbaniste avec ses collaborateurs, dont aucun ne précise sa formation ni son expertise dans le rapport, avait sous-évalué de plus de 200 mètres la longueur du pont qu’elle proposait près des traversiers, soit 1 200 mètres au lieu de 1 420 mètres, venant fausser à la baisse les coûts réels du projet, en plus de discréditer par le fait même le site optimal à La Boule, avec une portée de 1 150 mètres pour un pont suspendu, là où passe les lignes hautes tensions.
De plus, Mme Lévesque minimisait l’avantage pour les automobilistes d’emprunter un pont au lieu d’un traversier. Une économie de temps de 20 minutes. Elle ne tenait pas compte des attentes de 40 minutes le soir, d’une heure la nuit, des engorgements et des délais dus aux ralentissements des pelotons de sortie.
«Ce qui est insignifiant compte tenu des distances et du temps que demande le trajet reliant les villes de la Côte-Nord aux principaux centres du Québec», peut-on lire.
En raison des courbes prononcées et des pentes abruptes qui marquent la route 138, le document semble vouloir démontrer que l’avantage de sauver 20 minutes en évitant de traverser la rivière à bord d’un traversier aura vite été annulé par le parcours sinueux de la route 138, le seul lien routier pour sortir de la Côte-Nord en direction de Charlevoix.
En 1977, le trafic total via la traverse est de 365 000 véhicules; en l’an 2027, soit l’horizon de 50 ans, une hypothèse prévoit une circulation de 1 000 000 de véhicules sur un éventuel pont. Un achalandage en deçà du point de saturation de la route 138, dont la capacité se situait aux environs de 1,5 million de véhicules il y a 42 ans.
Encore là, une évaluation qui ne tient pas compte de la circulation par pulsation ou fréquence de sortie des traversiers qui causent le syndrome de la traverse, responsable de nombreux accidents de la route chaque année.
Pas un 2e boum
Malgré que la Côte-Nord était dans un boum économique alors que Sept-Îles était la ville avec le revenu moyen le plus haut au Canada dans les années ’70, le rapport mentionne à tort que le rôle d’un pont au niveau du développement économique de la région semble »infime ».
L’équipe de Mme Lévesque ajoute que le volume d’extraction et d’exportation des richesses naturelles de la région «n’a et n’aura que peu d’incidence sur la croissance de la circulation de la route 138 et le sur le pont envisagé à Tadoussac.»
«Les matières premières sortent actuellement plutôt par bateau ou par traversier-rail; l’avion constitue le mode privilégié pour les déplacements des personnes.»
Le rapport extrapole également sur les années futures, précisant que la Côte-Nord ne devrait pas connaître un «second démarrage économique, susceptible de relancer les activités actuelles d’extraction et de transformation, susceptible également de créer un appel de main-d’œuvre ou s’appuierait la croissance démographique.» Rappelons qu’un an plus tard, René Lévesque, lançait sa campagne électorale et référendaire de 1980 en confirmant un investissement d’un milliard de dollars pour l’agrandissement de l’aluminerie de Baie-Comeau.
En 2009, l’étude d’impact mentionne que la construction d’un pont au-dessus de la rivière Saguenay ferait augmenter de 22% l’achalandage de la route 138 à Tadoussac.
Non au pont
L’étude de 1979 concluait que bien qu’il existait à l’époque une demande pour une meilleure traversée du Saguenay et que le système de traversiers de ces années ne faisait pas exception avec aujourd’hui sur la problématique des périodes de pointe durant l’été ou le service est saturé, «le pont n’était pas une solution envisageable du moins à court terme et moyen terme, sous l’aspect-bénéfices-coûts.»
Notons qu’il est écrit au début de ce document de 93 pages plus les annexes (il peut être consulté sur le site www.ponttadoussac.ca) sur l’évaluation globale d’un projet de pont sur la rivière Saguenay que cet outil de travail ne représente pas nécessairement les vues du ministre des Transports.
D’ailleurs, ce ministre, Lucien Lessard, a précisé que cette étude avait été réalisée à son insu, sans qu’il en donne le mandat.
«C’était une stagiaire qui n’avait sans doute rien à faire et qui a voulu se rendre intéressante», a soutenu M. Lessard, aujourd’hui âgé de 83 ans.
Une étude pour le moins embarrassante pour le ministre Lessard puisqu’il avait déjà commandé deux ans plus tôt de la firme d’expert-conseil et d’ingénieur, Lalande, Girouard, Letendre et Associés ltée d’analyser le dossier du pont et de lui faire un rapport dans les plus brefs délais.
Cette étude recommandait alors à la construction d’un pont au coût de 115 millions de dollars, près de la montagne La Boule et non sur le site choisi par l’équipe de Mme Lévesque.
Malgré cet avantage financier, le nouveau ministre des Transports, Denis de Belleval, M. Lessard ayant été relayé au ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche lors du remaniement ministériel des péquistes en 1979, a décidé de construire deux nouveaux traversiers le NM Armand-Imbeault et le NM Jos-Deschênes au coût de 5 millions de dollars chacun.
Rappelons que Lucien Lessard avait même trouvé une idée pour financer le pont en moins de deux ans. Mais il a reconnu que malgré qu’il était vice-président du Conseil des trésors, «je ne suis pas parvenu à convaincre mes collègues Parizeau (Jacques) et Landry (Bernard) qui ne voulaient pas d’un pont, préférant garder l’argent pour le Stade olympique qui était en déficit.»
Étude de 1999 et 2009
Or, l’étude de Mme Lévesque a servi en quelque sorte de modèle pour deux autres études subséquentes.
En 1999, le MTQ imposait à la firme COWI, des ingénieurs spécialisés en longs ponts suspendus dans le monde entier, d’évaluer les coûts d’un pont à partir du tracé près des traversiers au milieu de la rivière Saguenay, soit le tracé de Mme Lévesque. Les ingénieurs qui ont conçu les ponts Halogaland en Norvège et Hoga Kusten en Suède chiffraient ces travaux à 371 millions de dollars, incluant 253 millions de dollars pour le pont près des traversiers et 118 millions de dollars pour les routes d’approche.
Dix ans plus tard, en 2009, le consortium SNC-Lavalin-Génivar réalisait une étude similaire pour conclure à un investissement de l’ordre du milliard de dollars.
«L’étude de Mme Lévesque est une étude fantôme parce que l’expertise des auteurs est inconnue à l’exception de l’urbaniste. Et on ne sait pas d’où vient la commande, probablement d’un haut fonctionnaire et d’un groupe de ministres et députés montréalais. Ce parti pris du MTQ pour le trajet près des traversiers est une solution inacceptable socialement pour Tadoussac, en plus de contribuer à mêler les cartes et retarder encore le projet de pont», déclare l’ancien président de la Société du pont sur le Saguenay, Pierre Breton.
Nous avons tenté de joindre Marie-Claire Lévesque, mais en vain.